Tactique et stratégique
Mais les actions en justice foisonnantes amènent à se demander si leur but n’est pas, en plus d’exclure de la course les concurrents, d’engranger des sources de revenus. “Les plaignants obtiennent de plus importantes redevances aux Etats-Unis qu’en Europe lorsqu’ils font valoir leurs brevets. Et les décisions d’injonction toujours plus rapides forcent à l’accord de licence”, relate Axel Casalonga, président du cabinet éponyme.
Alors choix tactiques ou stratégiques ? Tout dépend de l’importance de la technologie, les industriels réalisent de plus en plus des arbitrages selon Nicolas Arpagian, directeur scientifique à l’Institut National des hautes études de la sécurité et de la justice (Inhesj) : “si l’élément technologique n’est pas crucial pour l’avenir, le détenteur du brevet cherchera coûte que coûte l’accord de licence pour engranger des revenus récurrents”.
Mais parfois il est dangereux de céder aux sirènes du court terme et de mettre à la portée des autres la dernière nouveauté. Les brevets sont donc utilisés intelligemment, d’abord comme un bouclier, une arme et une source business si possible. “Les équipes juridiques en interne font appel à des cabinets extérieurs d’avocats, car le directeur juridique ne veut pas prendre seul la responsabilité de cet arbitrage. Les prestataires servent de fusible en cas de déroute”, s’amuse Axel Casalonga.
Les entreprises semblent avoir évolué dans leur approche, elles ont appris. Les autorités de concurrence pulvérisant les monopoles, l’OMC traquant les droits de douanes, elles ont utilisé plus intensément les brevets pour se ménager un précarré quand il le fallait. “Les industriels n’ont pas cette mentalité de trolls. Ils savent attaquer, puis enterrer la hache de guerre quand cela est nécessaire”, insiste Jean Christophe Guerrini. La course à l’échalote et les abus ne pourront cependant être interrompus.
“Dans notre droit la propriété comporte l’usus, le fructus et l’abusus. Le détenteur du brevet sera toujours libre d’en user ou non, d’en tirer les fruits ou non, de le détruire ou non”, précise Nicolas Arpagian. Sachant que le brevet européen unitaire rendant les injonctions encore plus menaçantes est en projet, que le système américain a été réformé pour être plus performant, et que la Chine, à l’origine d’un nombre croissant de dépôt de brevet, va toujours plus défendre la propriété intellectuelle, tous les ingrédients sont réuni pour que les procédures occupent encore longtemps l’actualité.
(*) cf. “Patent trolls”, le nouvel Economiste n°1553 du 10 au 16 février 2011
Par Julien Tarby
via Propriété intellectuelle – L’après-guerre froide | Le nouvel Economiste.