Libération : La révolution dans le sang
C‘est les pieds baignant dans du
(faux) sang, le corps sanglé dans des corsets de cuir, la tête haute et
le regard droit que les modèles de Dior se sont présentés. Depuis
plusieurs mois, la mode s’amusait à revisiter la galerie d’images de
l’aristocratie avant décapitation. Mais la générosité, la fougue de
John Galliano emporte le scalp de Marie-Antoinette, six mois avant la
sortie du film de Sofia Coppola. C’est tout le talent du pirate de LVMH
: il sort de sa besace une brassée de références flottant déjà dans
l’air (la mort, les crâcnes, le rouge, le noir…) mais jamais traitées
avec autant d’énergie.
Ouvert sur les mélopées orientalisantes du Isaac de
Madonna, le show a déroulé son tapis de filles blond platine, visage
poudré et pieds chaussés de cuissardes ou de ces guêtres en plastique
comme trempées dans d’hémoglobine. L’une d’elle est juste «vêtue» d’un
fichu en mousseline rouge lui couvrant la tête et à peine les seins nus
: la polémique du voile version Galliano ou la tête baignée de sang de
l’Autrichienne ? Hormis la Révolution et ses «1789» tatoués sur les
gorges des filles, les capes en organdi, vestes de cuir lacées ou
lacérées, ou manteau de tulle rappellent autant les rêveries blanc pâcle
du Monde de Narnia que les cavalcades hantées de Sleepy Hollow, ou
les provocations d’un Marilyn Manson. Dans cette embardée gothique, de
lourds crucifix rouges ou noirs : une relecture de l’Inquisition, avec
son imagerie religieuse, austère et son potentiel érotique afférant,
déjà développée ces dernières saisons par Stefano Pilati (Yves Saint
Laurent) ou Riccardo Tisci (Givenchy). Aux premiers rangs, les people
se serraient (chez Dior, c’est toujours le carton plein), mais dans une
relative douceur: Jean Reno, Bryan Ferry, Penélope Cruz, Lou Doillon,
Claire Chazal et son ami Torreton, l’actrice de séries américaine Misha
Barton ou Anne Sinclair. Au final, Galliano revenait fouetter ce beau
monde bardé de cuir, cinglant l’air d’une épée.
«Il ne s’agit
pas de délivrer un message, simplement, j’étais à Londres lors des
attentats de juillet, et ça m’a inspiré une collection plus proche du
corps que les précédentes, avec un vêtement qui protège, enveloppe» :
voilà ce que nous disait Felipe Oliveira Baptista à quelques jours de
son troisième défilé haute couture, dans son atelier du Xe
arrondissement parisien. Au mur, sur un panneau, se côtoyaient des
photos d’armures («j’ai passé beaucoup de temps au Musée des armées»), de Napoléon, mais aussi de tableaux du peintre américain Richard Lindner (1901-1978)…
De
fait, les propositions du jeune Portugais (31 ans) présentent un côté
effilé, affà»té, qui rompt avec l’évanescence que pouvaient avoir ses
jupes boules ou ses robes d’amazones : la silhouette de ses pages du
XXIe siècle (coupe au bol étonnamment seyante) est très tenue, dans des
minirobes noires au buste découpé, aux épaules et à la ceinture
soulignées de sequins qui rappellent la cote de maille (idem les sabots
argentés), ou encore un manteau magnifiquement proportionné, en laine
tissée crème. Une collection équilibrée, à la fois onirique et
futuriste, technique et sensible.
Adeline André, elle, reste
résolument atemporelle, tout en renouvelant le tour de force d’éviter
la déconnexion totale avec la réalité… Soit des robes en gorgette de
soie d’une fluidité sidérante, qui font corps avec le corps sans le
coller, aux couleurs franches mais douces (laitue, genêt, tilleul), des
vestes aux boutons recouverts et bords francs qui tombent comme une
évidence, avec cette simplicité hiératique qui suggère une personne de
qualité. Ce qui n’exclut pas la sensualité, telle cette robe cardigan
de soie qui, une fois les manches basculées, plonge dans le dos en une
vasque vertigineuse.
Photo Jérôme Bonnet