Libération : Contrôle biométrique: tentative d’élever le débat au procès
Contrôle biométrique: tentative d’élever le débat au procès
Des témoins comparaissent pour la défense de trois jeunes, accusés d’avoir cassé des bornes électroniques.
par Gilles WALLON
QUOTIDIEN : lundi 23 janvier 2006
Pourquoi diable venir témoigner ? «Parce
qu’on veut faire accepter la traçabilité à des enfants de 3 ans. Parce
qu’on veut leur dire qu’il est normal que leur corps soit un instrument
de contrôle, comme si c’étaient des bêtes.» Ainsi parle Louis Joinet, ancien directeur de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).
Vendredi soir, au tribunal d’Evry (Essonne), le magistrat
comparaissait pour la défense de trois jeunes militants, accusés
d’avoir détruit les appareils biométriques de la cantine d’un lycée à
Gif-sur-Yvette (Libération du 16 décembre). Dans cet
établissement, comme dans une dizaine d’autres en France, on pose sa
main sur une borne électronique avant d’entrer dans le réfectoire. Le
système remplace les cartes de cantine. Et c’est «une transformation du corps en codes-barres», considèrent
Julien, Célia et Anne-Sylvie, vingt-cinq ans de moyenne d’âcge, trois
étudiants timides serrés sur le banc des accusés. Un jour de novembre,
avec une quinzaine de personnes, ils se sont retrouvés devant un lycée
de l’Essonne, à l’heure du déjeuner. Grimés en clowns blancs, ils ont
pénétré dans l’établissement, distribué des tracts, mimé une scène
théâctrale qui caricature «le côté concentrationnaire de cette technique de surveillance», comme l’explique Célia à la barre, en bafouillant un peu.
Poursuite. La
juge raconte la suite : deux machines biométriques sont brisées à coups
de marteau, alors les surveillants  et quelques élèves  poursuivent
les militants. Ils en attrapent trois, qui contestent. Oui, ils étaient
là , mais n’ont pas touché aux machines. Ils ne savaient même pas
qu’elles allaient être cassées.
Pour les soutenir, ils sont une
centaine de militants, de scientifiques, d’alters, qui patientent
pendant sept heures avant le début du procès. Il y a tellement de monde
que la juge décide de changer de salle. Pendant les heures d’attente,
entre deux cigarettes roulées, ces membres d’un collectif antibiométrie
dressent un parallèle avec l’action des anti-OGM. Ils avancent l’état
de nécessité : pour eux, la destruction d’appareils biométriques est
illégale mais reste légitime. Surtout, ils évoquent un texte,
disponible sur Internet, et jugé «scandaleux». Signé par le Gixel, le groupement des industries électroniques, celui-ci conseille de «faire accepter la biométrie à la population» à travers des «fonctionnalités attrayantes» et «l’éducation dès l’école maternelle, pour entrer dans l’école, en sortir, déjeuner à la cantine».
Difficile
alors de ne pas faire de ce procès en dégradation le procès de la
biométrie en milieu scolaire. Surtout que le proviseur du lycée de
Gif-sur-Yvette n’avait pas les autorisations nécessaires pour installer
de telles machines dans son établissement : ni la Cnil ni les
collectivités territoriales n’avaient donné leur accord. Deuxième bémol
: à la barre, le seul témoin de la partie civile opère une volte-face
complète. C’est le surveillant du lycée qui a alpagué Julien : «Je
ne peux pas du tout vous affirmer que c’est lui qui a cassé la machine.
Ils étaient tous habillés pareil. On aurait pu éviter cette erreur si
on avait fait une confrontation plus tôt.»
«Pas l’endroit». De
son côté, la juge fait ce qu’elle peut pour recentrer les débats. Aux
trois accusés, qui évoquent toutes les cinq minutes les raisons de leur
action, elle répète : «Nous ne sommes pas là pour débattre de la
présence de la biométrie dans les établissements scolaires. Ce n’est
pas l’endroit pour un débat philosophique.»
N’empêche, les
cinq témoins de la défense, professeurs et intellectuels, sont venus
chacun avec un texte qui dénonce le contrôle des machines dans les
lieux d’enseignement. La juge leur répond : «Arrêtez les discours sur la biométrie, on les a déjà entendus. Qu’avez-vous à nous dire sur les accusés ?» L’un
d’entre eux dit seulement qu’il est professeur à Maurice-Ravel, un
lycée parisien o๠des contrôles biométriques ont été installés sans en
avertir les parents. Un autre, psychiatre, tente de résumer : «Les
rencontres, il n’y a rien de plus important pour les enfants en bas
âcge. L’humain se transmet par ces rencontres. Avec la biométrie, on est
en train de les diminuer, il faut faire attention.» Jugement mis en délibéré au 17 février.