OVERGAME.COM – ACTUS : Racisme et World of Warcraft
Racisme et World of Warcraft
18/01/2006 19:51:00
Oubliez les vieilles haines anti-orc ou anti-humain. Désormais, certains joueurs opèrent des discriminations raciales bien réelles contre les chinois, accusés d’être les maillons essentiels du marché de revente de biens virtuels. Le problème dépasse, bien entendu, le cadre du simple MMORPG mais à défaut de voir se réaliser un jour l’utopie « We are the world », la cohabitation pacifique entre joueurs et « travailleurs du jeu » est-elle possible ?
Par : Eric SimonoviciImprimer Envoyer Ajouter
Que ce soit au niveau économique ou au niveau social, les sociétés virtuelles de titres massivement réseau comme World of Warcraft ou Everquest finissent bien souvent par exhiber des ressemblances frappantes avec les systèmes réels que nous connaissons (comme, par exemple, le travail, l’investissement temps via les quêtes résultant bien souvent en un « salaire » de pièces d’or). Dernièrement, certains se sont mis à avertir de la montée en importance d’un autre phénomène inspiré du réel, dont le jeu vidéo aurait tout aussi bien pu se passer : le racisme à l’encontre des joueurs asiatiques, accusés d’être des gold farmers.
Le gold farming, littéralement « la récolte d’or », c’est un travail, un vrai. Pas question ici de jouer pour s’amuser : l’objectif est d’accumuler un maximum d’argent virtuel en un minimum de temps, argent qui sera ensuite revendu (contre de la monnaie réelle, cette fois-ci) aux joueurs, soit directement, soit par le biais de sites spécialisés. Le marché est énorme ; IGE, l’un des leaders de la vente d’objets virtuels, l’estime aux environs des 900 millions de dollars pour l’année 2005. Il pourrait même dépasser les revenus liés aux ventes de jeux et aux abonnements – censés atteindre les 7 milliards de dollars d’ici 2007 – en quelques années. De gros enjeux, donc, et un marché émergent qui donne des ailes aux pays en voie de développement. En Asie, en Russie ou dans les pays de l’Est, le gold farming se professionnalise. Des dizaines d’employés se retrouvent dans des bureaux à jouer 12 heures sur 24, contraints d’atteindre des quotas précis de pièces d’or.
La plupart des « vrais joueurs », ceux qui recherchent avant tout le divertissement, voient évidemment d’un très mauvais Å“il l’invasion de leur univers favori par ces capitalistes d’un nouveau genre. On accuse les gold farmers de raréfier les ressources, résultant en une inflation des prix. Les moins scrupuleux n’hésitent d’ailleurs pas à chasser les joueurs des zones les plus lucratives.
Petit à petit, les tensions entre les deux camps (joueurs et « travailleurs ») augmentent. Hier, on chassait les gold farmers des villes à coups de boules de neige ; désormais, certains opèrent une discrimination radicale basée sur la langue. Un article paru chez PRWeb indique qu’il faut parfois montrer patte blanche sur les serveurs américains pour intégrer un groupe. Tapez une ou deux phrases en anglais et vous êtes accepté. Problème : tous les non-anglophones ne sont pas des « récolteurs d’or », ce qui a conduit une partie de la communauté asiatique, rassemblée sur le forum Tales of Warcraft, a dénoncer les discriminations qu’elle doit subir régulièrement à l’intérieur du jeu. Les français ne sont pas non plus épargnés, comme le montre cette conversation édifiante rapportée par les chercheurs du Daedalus Project.
Le site, créé dans le but d’étudier le genre MMORPG sous les aspects psychologiques et démographiques, documente également un grand nombre de réactions touchant carrément à la haine raciale. « Je peux dire franchement que la manière dont les joueurs coréens se comportaient dans [Lineage II] était assez pour que moi et ma guilde les enfermions dans un stéréotype, avant de les chasser et de les tuer tous, » raconte l’un des joueurs. « Dans le chat général, on peut régulièrement lire des insultes raciales contre les asiatiques, les traitant de gold farmers ou carrément de chinks ou de gooks [NDR : les pires des injures racistes dans le langage américain], » constate un autre. Certains décrivent même les farmers chinois comme une peste qu’il faudrait exterminer, une opinion radicale qui, selon le Daedalus Project, permet de dresser un parallèle troublant avec les persécutions (bien réelles, elles) qu’ont dà» subir les immigrants chinois aux Etats-Unis dans les années 1800.
Peut-il y avoir cohabitation pacifique ? Difficile tant que ce marché existe et que les joueurs considèrent l’achat de biens virtuels comme parfaitement légitime. « Les gold farmers ne me posent aucun problème, » explique un joueur de World of Warcraft. « J’ai un boulot, donc mon temps vaut de l’argent et ils me fournissent un service. » Certains continuent cependant à lutter pour éradiquer le phénomène. Le magazine PC Gamer, par exemple, refuse désormais d’accorder des pages publicitaires aux sociétés proposant la vente d’or virtuel. En attendant, le mieux est peut-être tout simplement d’engager le dialogue afin de mieux comprendre le quotidien de ces joueurs-travailleurs. « Un jour, dans Lineage II, je me suis retrouvé à me battre avec un gold farmer pour accéder à une zone d’un donjon, donc nous avons entamé la discussion, » raconte un joueur. « Il m’a dit qu’il devait travailler 16 heures par jour pour un salaire de misère et que s’il n’atteignait pas son quota, il ne toucherait rien. Alors il m’a proposé un peu de monnaie virtuelle pour que je lui laisse la zone. Et voilà . Je joue à un MMORPG justement pour oublier les soucis de la vie quotidienne mais la dure réalité me rattrape. C’est triste de vivre dans un monde pareil. »